Journée mondiale des enfants : en France, l’urgence de retourner jouer dehors

En France, les plus jeunes sont devenus des « enfants d’intérieur », élevés entre quatre murs et coupés de la nature, estime le Haut Conseil de la famille de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dans un récent rapport. Cette sédentarité met pourtant leur santé physique et mentale en danger. En quoi réinvestir le monde extérieur leur serait bénéfique ? Décryptage.

Leçon d'art sur une plage de l'île Hoedic, au large de Quiberon, dans l'ouest de la France. Image d’archive.
Leçon d’art sur une plage de l’île Hoedic, au large de Quiberon, dans l’ouest de la France. Image d’archive. AFP – SEBASTIEN SALOM-GOMIS

Jadis adressés aux enfants pas sages, ces mots rappelleront des souvenirs à de nombreux lecteurs : « Tu es puni, vas dans ta chambre. » Mais en 2024, les enfants doivent absolument en sortir, alerte le Haut Conseil de la famille de l’enfance et de l’âge (HCFEA), une instance placée sous l’autorité du Premier ministre.

Selon son dernier rapport, publié le 12 novembre, les enfants sont de moins nombreux « dehors », que ce soit dans les villes (parcs, terrains de jeu), à la campagne, ou dans la nature.

Au fil de ses quelque 200 pages, le document interroge la société française sur l’urbanisme, sa relation avec le reste du vivant, la place et les libertés laissées aux plus jeunes.

Sortir pour sa santé

C’est avant tout une question de santé publique : la sédentarité augmente le risque d’obésité, de diabète, d’asthme, de myopie et de problèmes cardiovasculaires, ce qui en fait la première cause de mortalité évitable au niveau mondial.

Rester chez soi fragilise aussi la santé mentale, aggravant anxiété et dépression, tout en freinant le développement cognitif et social de l’enfant. Une préoccupation sanitaire en France, eu égard à l’importante consommation de médicaments psychotropes – comme les antidépresseurs – chez les enfants, qui a doublé en dix ans.

Les services de pédopsychiatrie peinent à répondre aux besoins. « Je reçois entre dix et quinze demandes de rendez-vous pédopsychiatriques par jour », confiait en 2023 le psychiatre Thierry Delcourt.

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Comment jouer dans un parc pourrait prémunir l’enfant de tels troubles ? « En sortant moins, l’enfant habite plus difficilement son corps, et quand on n’a pas de corps, on devient psychotique », vulgarise Xavier Briffault, chercheur au CNRS, et lui-même membre du HCFEA.

Plus sédentaire, l’enfant d’aujourd’hui vit paradoxalement dans une France plus verte que celle d’antan. Car la surface de la forêt a augmenté, atteignant 17,1 millions d’hectares en 2021, soit une extension de 21 % depuis 1985. Mais dans les zones urbaines, où réside l’essentiel de la population française, certains habitants souffrent de la bétonisation. Selon l’enquête du HCFEA, les quartiers populaires sont surexposés à la canicule du fait, notamment, d’un manque de végétation.

Et si hors des villes, les forêts s’étendent, encore faut-il faire le choix de s’y rendre, remarque Xavier Briffault. Gif-sur-Yvette, commune France-ilienne où il vit depuis 36 ans, est entourée de bois. « Je n’y croise pourtant plus jamais personne, mais alors jamais. C’est spectaculaire », constate ce sociologue-randonneur.

Nos enfants sont-ils moins libres ?

Jeux vidéo, réseaux sociaux, démocratisation du smartphone infantile… Environné d’écrans, l’enfant boude le plein air pour un monde de plus en plus virtuel. En moyenne, 37 % des enfants de 11 à 17 ans passent 4 h 30 de leurs journées devant un écran.

Le monde extérieur, lui, est perçu comme plus dangereux qu’autrefois note Xavier Briffault.

Ironique, quand on sait que les accidents domestiques représentent l’une des principales causes de mortalité infantiles en France, rappelle le sociologue. Mais dehors, la peur de la « mauvaise rencontre » ou de l’accident creusent un fossé entre les familles et l’espace public, constate le rapport.

Les générations précédentes ont joui d’une liberté aujourd’hui refusée aux plus jeunes, abonde Caroline, de région parisienne, bientôt 40 ans, mère de trois enfants, (quatre, sept, et neuf ans).  Les deux ainés sont parfois autorisés à jouer au parc sans surveillance.

« Mais c’est assez dur de tenir cette ligne de conduite, car on nous regarde de travers », confie cette avocate. « Et les accompagner au parc implique une organisation familiale qui n’est pas forcément facile à mettre en place. De manière générale, les enfants sortent moins parce qu’avant, ils sortaient seuls », résume Caroline.

« Je dois faire du chantage à mes filles [quatorze, onze et sept ans] pour qu’elles daignent sortir loin du béton » raconte Audrey, elle aussi citadine. « Il faut dire que la vue d’une limace les plonge de panique. »

Réapprendre à tomber

Cette Montreuilloise fait contre mauvaise fortune bon cœur : en vacances à la campagne, ses filles acceptent au moins parfois de toucher la terre… Munies de gants.

C’est là le syndrome d’une société devenue hyper-aseptisée, note Xavier Briffault. Selon lui, nos enfants doivent pourtant réapprendre à se salir et à tomber. Car s’exposer à la « saleté » renforce l’immunité physique. Et en tombant, l’enfant apprend aussi à « se relever, au sens figuré, développant une résilience psychique face à l’adversité », explique le chercheur au CNRS.

« Les parents devraient se rouler par terre avec leurs enfants », poursuit Xavier Briffault. Selon le rapport, les adultes eux aussi, doivent se reconnecter au « monde vivant ». « Car ce qui est bénéfique pour la santé mentale des enfants est bien évidemment bénéfique pour les adultes », note Xavier Briffault.

Nombre d’études le confirment, comme celles de l’American Psychological Association (APA) : le temps passé par un individu dans la nature est lié à des améliorations cognitives, un bien-être émotionnel accru, et à une réduction du stress.

Parmi les sources de stress mondial, le dérèglement climatique. En allant « dehors », pour s’exposer à une nature qui lui « fait du bien », les sociétés pourraient-elles être plus enclines à la préserver ?

C’est le pari de Xavier Briffault. « Si elles conservent ce sentiment que le vivant n’est plus leur lieu de vie, elles n’auront aucun problème à l’annihiler. Mais si nous considérons enfin la nature comme notre tanière, nous ne la détruirons pas. »

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