Elon Musk adoubé par Trump, le début de l’ère des oligarques américains ?
Elon Musk, le plus trumpien des milliardaires américains, s’est introduit dans les premiers cercles du pouvoir après la victoire du candidat républicain à la présidentielle américaine. À tel point qu’il pourrait jouer un rôle de premier plan dans la future administration de Donald Trump. Un gain d’influence qui peut rappeler les débuts de l’ère des oligarques dans la Russie post-communiste.
Mikhaïl Khodorkovski, Boris Berezovsky, Roman Abramovitch et… Elon Musk. Le multimilliardaire nord-américain pro-Trump est de plus en plus souvent qualifié “d’oligarque” dans les médias américains.
Une comparaison due, schématiquement, à son immense fortune, à l’influence qu’il a eue sur la campagne de Donald Trump et au rôle politique qu’il pourrait jouer durant la future administration républicaine. Le président élu l’a nommé, le 12 novembre, conseiller chargé de « l’efficacité gouvernementale », un rôle dont l’ampleur reste encore à définir. Autant d’éléments qui pourraient justifier de le placer dans la même catégorie que tous les “nouveaux riches” de la période chaotique post-soviétique, considérés dans l’histoire russe comme une composante essentielle de l’ère Boris Eltsine.
Oligarque ou “baron voleur” ?
Elon Musk peut-il être la version moderne et nord-américaine d’un Mikhaïl Khodorkovski, ex-homme le plus riche de Russie poussé à l’exil en 2013 ? “Je le verrais plutôt comme l’équivalent américain d’Anatoli Tchoubaïs [artisan des privatisations de 1990 et surnommé le “père des oligarques russes”, NDLR], et je peux comprendre la comparaison avec les oligarques russes”, estime Jeff Hawn, politologue américain spécialiste de la Russie à la London School of Economics.
Selon lui, le patron de X, Tesla ou encore SpaceX, est plus proche d’un oligarque des années 1990 que de la figure de l’influent multimilliardaire de l’âge d’or américain. “Les ‘barons voleurs’ de la fin du 19e siècle – les Cornelius Vanderbilt, John D. Rockefeller ou Andrew Carnegie – voulaient certes avoir une influence politique, mais ils tentaient de l’exercer de manière plus discrète et moins directe qu’un Elon Musk”, résume Jeff Hawn.
Son soutien très ostentatoire, et les quelque 200 millions de dollars que son comité politique a rassemblés pour faire gagner le candidat républicain rappellent davantage le modus operandi des oligarques russes. Ces hommes d’affaires “ne faisaient pas dans la discrétion pour atteindre leurs objectifs”, explique Stephen Hall, spécialiste de la politique russe à l’université de Bath.
Le portrait robot de l’oligarque des années 1990 est celui d’un homme d’affaires devenu extrêmement riche, qui “contrôle un secteur de l’économie, possède au moins un média, s’est lancé très rapidement dans l’arène politique et détient aussi, de préférence, une banque”, énumère Stephen Hall.
Elon Musk, l’oligarque imparfait
Ce descriptif express démontre les similitudes avec Elon Musk. L’homme le plus riche au monde occupe une place dominante dans le secteur des voitures électriques avec Tesla, et souhaiterait rafler aussi la mise dans l’aérospatial américain. Il s’est offert X, l’équivalent au 21e siècle d’un média d’influence, et devrait jouer un rôle politique au sein de l’administration Trump en tant que co-responsable du Département de l’efficience gouvernementale.
Une autre spécificité des oligarques : “leurs activités professionnelles étaient souvent liées à des secteurs stratégiques pour l’État”, note Jeff Hawn. Ils contrôlaient le pétrole, l’acier ou encore les médias et l’influence politique qu’ils s’achetaient leur permettait d’être toujours bien placés lors de l’attribution des marchés publics.
Même risque de favoritisme avec Elon Musk. Sa société spatiale SpaceX dépend en grande partie des contrats publics pour sa survie, certains commentateurs américains craignent que Donald Trump ne le remercie pour son soutien en multipliant les opportunités d’affaires en sa faveur.
Mais la comparaison a ses limites. D’abord, Elon Musk ne possède aucune banque. Ensuite, son rapport à la politique est différent de celui des oligarques. Ces derniers “étaient très pressés de se faire élire à la Douma ou d’occuper un rôle politique”, note Stephen Hall. Roman Abramovich a ainsi été gouverneur de la région de Tchoukotka, dans l’Extrême-Orient de la Russie. “À l’apogée de son pouvoir, on disait de Mikhaïl Khodorkovski qu’il s’était acheté un tiers des élus russes”, souligne Stephen Hall.
Elon Musk n’est pas dans cette logique. “Il est anti-establishment et je ne le vois pas poursuivre une carrière politique”, soutient Jeff Hawn.
L’objectif du milliardaire américain n’est pas non plus identique. Les oligarques dépouillaient l’État “afin de s’enrichir personnellement pour ensuite vivre la belle vie à l’occidentale. Elon Musk ne semble pas mû par un désir de quitter les États-Unis, mais bien plus par l’envie de remodeler l’Amérique selon ses valeurs et celles de Donald Trump”, résume Jeff Hawn.
Risques pour la démocratie
Malgré ces quelques différences, la mue d’Elon Musk en oligarque “made in America” doit alerter, assure les experts interrogés. “Si le deuxième mandat de Donald Trump est faible, avec des institutions qui ne fonctionnent pas correctement à la manière de la Russie de Boris Eltsine, il y a un risque que les apprentis oligarques comme Elon Musk en profitent pour s’enrichir au détriment de la démocratie américaine”, résume Stephen Hall.
“Il s’agit d’affaiblissement de l’État de droit. Comme dans les années 1990 en Russie, l’objectif d’Elon Musk aujourd’hui est de faire disparaître les institutions ou règles qui pourraient nuire à ses intérêts économiques”, ajoute Jeff Hawn.
Et le problème ne s’arrête pas à Elon Musk. S’il parvient à ses fins, “d’autres voudront faire pareil”, assure Jeff Hawn. Un oligarque ça va, mais deux, trois voire plus… Bonjour les dégâts.