Comment l’IA et les nouvelles technologies ont contribué à la reconstruction de Notre-Dame
La restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris a représenté un défi d’ingénierie complexe après la décision de la reconstruire dans sa forme originale. La société Autodesk a participé au chantier en ayant recours à l’intelligence artificielle et aux dernières technologies, établissant une réplique numérique en 3D du chef-d’œuvre gothique. Entretien avec Nicolas Mangon, l’un de ses dirigeants.
Elle a 860 ans et tient toujours debout. Les 7 et 8 décembre, la cathédrale Notre-Dame de Paris rouvre officiellement au culte et à la visite, après plus de cinq ans de travaux pour réparer les dommages causés par l’incendie dévastateur du 15 avril 2019. Une prouesse rendue possible grâce au travail acharné de 2 000 personnes ayant contribué à la restauration de l’édifice.
Parmi ces contributeurs, la société Autodesk, spécialisée dans la technologie et l’ingénierie du bâtiment. En coopération avec Art Graphique & Patrimoine (AGP) – leader français de la numérisation des monuments historiques –, elle a eu recours à l’intelligence artificielle (IA) et a créé un modèle numérique détaillé de la cathédrale telle qu’elle existait avant l’incendie. France 24 a interrogé Nicolas Mangon, son vice-président chargé de la stratégie pour les métiers de l’architecture, l’ingénierie et la construction.
France 24 : Comment avez-vous utilisé l’intelligence artificielle dans le projet de reconstruction de Notre-Dame ?
Nicolas Mangon : Quand il s’agit de monuments historiques, il y a plusieurs étapes. La première est de capturer les informations actuelles du site. Dans le cas de Notre-Dame, ce qu’il restait de la cathédrale [après l’incendie]. Pour cela, on utilise des technologies sous forme de lasers qui vont scanner l’ensemble du site et capturer des centaines de millions, voire des milliards, de points en 3D. Ces points vont permettre de mieux comprendre le site avec un modèle de points en 3D qu’on peut visualiser sur un ordinateur.
Mais ces points ne sont pas intelligents. Il faut les transformer en géométrie, en objets intelligents : des murs, des fenêtres, des poteaux, etc. Et là, l’intelligence artificielle peut aider à transformer en objets intelligents des points qui sont dans l’espace. Une fois qu’on a ces objets intelligents, on a un modèle 3D. À partir de là, on peut complètement simuler le processus de construction sur l’ordinateur au lieu de le faire directement dans le monde réel. On peut alors anticiper tous les problèmes que l’on va rencontrer.
On peut aussi, à l’aide de ce modèle 3D, faire toute sorte de simulations : est-ce que la cathédrale est stable ? Est-ce qu’elle va s’effondrer ? On peut également faire des études de lumière. Aujourd’hui, la cathédrale est beaucoup plus lumineuse à l’intérieur. C’est parce que des études de lumière ont été faites directement, numériquement, sur un modèle 3D. Autre exemple : la flèche de Notre-Dame. On pouvait savoir si elle n’allait pas s’effondrer en cas de tempête… On peut donc simuler toute sorte de choses sur l’ordinateur avant d’engager la construction.
Avez-vous dû adapter vos techniques habituelles ?
Nous fabriquons des logiciels pour concevoir de nouveaux bâtiments ou rénover des bâtiments contemporains. Des millions de bâtiments ont été conçus avec nos technologies à travers le monde. Mais Notre-Dame est l’un des premiers cas de monument historique où l’on a utilisé, en même temps, des méthodes traditionnelles et ces technologies. Avec Notre-Dame, nous avons véritablement franchi une frontière. On est au début d’une nouvelle ère technologique où l’on peut allier le traditionnel et les innovations technologiques.
Le chantier de Notre-Dame aurait-il avancé aussi rapidement sans l’aide de ces nouvelles technologies ?
Leur utilisation fait gagner énormément de temps – le principal critère du président Macron pour la reconstruction. Il fallait que ce soit fini en 2024 et, en utilisant ces technologies, on a pu gagner des mois, voire des dizaines de mois. Il y a effectivement eu du travail qui a été fait numériquement, mais ça a énormément aidé sur le planning du projet.
Outre un gain de temps, ces technologies améliorent aussi la qualité obtenue. Parce que les ouvrages construits ou reconstruits avec ces technologies seront plus durables. On peut par exemple simuler la consommation d’énergie, optimiser les matériaux pour qu’il n’y ait pas d’émissions de carbone supplémentaires, pour que les bâtiments refroidissent plus simplement ou ne soient ni trop chauds, ni trop froids.
Travaillez-vous sur d’autres sites historiques importants ?
Nous avons participé au scan [la première étape, NDLR] du site de Palmyre, en Syrie. Nos technologies ont été utilisées. En faisant ce scan, vous capturez la mémoire de l’endroit. C’est très important, pour le futur, de pouvoir capturer ces millions ou milliards de points. Au moins, on conserve une trace du passé si l’on veut reconstruire à l’identique.
Il est aussi possible désormais de faire de petits scans à partir de smartphones – avec un iPhone, par exemple. Au début de la guerre en Ukraine, on a vu les Ukrainiens utiliser ces technologies pour scanner de petits ouvrages comme les fontaines, les façades de maison… parce qu’ils craignaient leur destruction par les bombardements russes. De cette façon, ils ont capturé l’essence du passé. Ils ont maintenant ce patrimoine numérique. Et s’ils veulent reconstruire dans le futur, ils le pourront.